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Construction : Conjuguer au féminin (Magazine Jobboom)

Alors que la collusion, la corruption, les contrats offerts sans appels d’offres donnent mauvaise presse au monde de la construction, on passe sous silence qu’il s’agit d’un des derniers secteurs où les femmes n’ont toujours pas réussi à s’imposer par leur nombre.

L’été dernier, la Commission de la construction du Québec (CCQ) se targuait d’avoir réussi à attirer trois fois plus de femmes dans l’industrie qu’il y a dix ans. Elles ne représentaient cependant qu’un maigre 1,2 % de l’ensemble de la main-d’oeuvre en 2008, selon une étude de la CCQ (Les femmes et la construction, juin 2009). Pas de quoi pavoiser.

Le pourcentage de femmes demeure faible même si elles sont de plus en plus nombreuses puisque les hommes arrivent toujours plus nombreux, le volume de travail ayant plus que doublé en 10 ans. «On parle de 3 000 nouveaux travailleurs par an dans l’industrie, dit le conseiller en relations publiques à la CCQ, André Martin. S’il y a une centaine de femmes qui joignent les rangs de la construction chaque année, reste quand même 2 900 travailleurs masculins qui font la même chose.»

«La société évolue très, très lentement, affirme le directeur des relations du travail à l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec (APCHQ), Dominic Robert. On a encore des chasses gardées masculines. Cela a pris tellement de temps avant qu’il y ait des femmes juges au Canada, par exemple. C’est encore plus vrai pour l’industrie de la construction.»

Le faible nombre de femmes peut aussi s’expliquer par la mobilité que demandent plusieurs métiers de la construction, croit Dominic Robert. «Elles ont traditionnellement tendance à être plus sédentaires, à vouloir rester à la maison quand elles ont des enfants, perçoit-il. Partir trois ou quatre mois sur un chantier, c’est plus difficile à ce moment-là.»

Efforts de recrutement

Des mesures réglementaires ont été adoptées à la fin des années 1990 pour favoriser l’accès des femmes aux chantiers. L’obtention du certificat de compétence requis dans les 26 métiers et occupations de la construction leur a ainsi été facilité, son renouvellement aussi.

À la CCQ, en plus des mesures facilitantes, l’organisme fait de la discrimination positive en privilégiant les candidatures féminines quand vient le temps de référer des travailleurs aux employeurs.

Pour valoriser les métiers de la construction aux yeux de la population, le programme Chapeau, les filles!, qui souligne l’excellence de femmes dans des métiers non-traditionnels, réserve maintenant deux prix exclusivement aux filles des chantiers.

Malgré tous les efforts pour attirer les femmes, l’industrie semble regarder du côté d’autres types de travailleurs, faute de résultats probants. «De plus en plus de campagnes de promotion sont menées pour recruter d’autres profils de travailleurs dans la construction, souligne André Martin. Les autochtones et les immigrants en sont des exemples.»

Relève enthousiaste
Michelle Watrin fait partie de l’équipe de direction de l’École des métiers de la construction de Montréal depuis 1995. Elle soutient que la promotion de l’industrie a fait bouger les choses. «Nous organisons des visites de l’école et n’avons jamais refusé un seul groupe de femmes. D’ailleurs, le nombre de femmes qui visitent notre établissement augmente chaque année. Voir les étudiantes qui prennent leur place en classe, ça encourage celles qui sont tentées par la construction.»

Elle se rappelle qu’il y avait une seule élève en soudage et seulement quelques-unes en peinture de bâtiment lorsqu’elle a obtenu son poste. Mme Watrin constate que des femmes étudient maintenant en électricité, en plomberie, mais surtout en pose de matériaux intérieurs et en calorifugeage (pose de matériaux d’isolation).

Des métiers privilégiés

André Martin et Dominic Robert s’entendent pour dire que les métiers requérant une moins grande force physique sont ceux qui attirent les femmes en plus grand nombre. Selon l’étude de la CCQ, elles sont surtout peintres, calorifugeurs, plâtrières et poseuses de revêtements souples. Leur part y est supérieur à 5%.

À l’inverse, les apprenties couvreur, frigoriste et mécanicien en protection-incendie se comptent sur les doigts de la main. Les apprentis mécaniciens de machinerie lourde et les grutiers se retrouvent quant à eux exclusivement entre hommes!

Fait notable, plus de 3 000 femmes occupent des postes supérieurs dans la gestion de l’industrie, soit comme professionnelles ou techniciennes en gestion (1 099) ou comme cadres (2 015). Elles représentent respectivement 88 % et 7 % de l’ensemble de la main-d’oeuvre dans ces emplois. Comme quoi au-delà des chantiers, les femmes continuent de prendre leur place.

Rapports de force
Si elles sont de plus en plus nombreuses, l’accueil qui leur est réservé ne serait pourtant pas plus enthousiaste qu’il y a quelques années. «C’est difficile de penser que les préjugés sont à zéro, dit le conseiller en relations publiques à la CCQ, André Martin. Mais reste que les femmes réussissent plus à faire leur place. L’entrepreneur a également une certaine responsabilité sur l’atmosphère qui règne sur le chantier. S’il impose le respect envers les travailleuses, ça se ressent et ça facilite l’intégration des nouvelles venues.»

Dominic Robert pense que la présence des femmes dans les écoles de métiers atténue grandement les frictions une fois que les étudiants sont embauchés. «Si déjà pendant ta formation tu côtoies des filles, tu t’attends à ce qu’il y en ait sur les chantiers.»

Ainsi, plus les futurs travailleurs de la construction passeront par les écoles pour apprendre leur métier, plus vite les préjugés envers les femmes tomberont. Or, seulement 38 % de l’ensemble de la main-d’œuvre est passée par une école. Ce pourcentage augmente, légèrement, à 40 % pour les nouvelles apprenties.

Alors, à vos casques, les filles!


ENCADRÉ 1

Quelques chiffres
De 1997 à 2008 :

• 3 357 femmes ont débuté une carrière dans la construction.

• 73 % des femmes ont intégré le secteur comme apprenti.

• 3 % des femmes ont commencé à titre de compagnon. Cette proportion est de 10 % pour l’ensemble de la main-d’œuvre.

• 243 femmes faisaient partie de l’industrie en 1997, soit 0,3 % de l’ensemble de la main-d’œuvre. En 2008, ce taux a grimpé à 1,2 %.

Source : CCQ, Les femmes et la construction, juin 2009


ENCADRÉ 2

La situation en 2008
• Le profil des femmes actives en 2008 est radicalement différent de celui des hommes. Elles ont le statut d’apprentie dans une large proportion (66 %), comparativement à 35 % pour leurs collègues masculins.

• 13 % des femmes seulement sont compagnons alors que la proportion grimpe à 48 % pour les hommes. Cette différence est mince pour le statut d’occupation, détenu par 22 % des femmes et par 17 % des hommes.

Source : CCQ, Les femmes et la construction, juin 2009

ENCADRÉ 3

À se comparer, on se désole…
• Étant donné leur intégration récente, les femmes cumulent en moyenne quatre années d’activité comparativement à douze années pour les hommes.

• 7,1 % des employeurs ont à leur emploi au moins une femme. Chez les entreprises de 5 salariés et moins, qui constituent 82 % de l’ensemble des employeurs, le taux chute à 4,6 %.

• Le taux d’abandon des femmes est effarant. Près des deux tiers des femmes entrées avec le statut d’apprentie ou d’occupation ont quitté après cinq ans. C’est presque deux fois plus que chez les hommes.

Source : CCQ, Les femmes et la construction, juin 2009


PORTRAIT 1
Amour mécanique

Sophie Maheux est opératrice de machinerie lourde. Au Québec, elles ne sont que 11 à avoir le statut de compagnon dans ce métier. Vous avez dit chasse gardée?

Le travail de Sophie Maheux consiste à manoeuvrer principalement les pelles mécaniques et les niveleuses. Elle travaille depuis quatre ans sur différents chantiers, partout où il y a de la demande.

Celle qui a étudié à l’école de foresterie de Mont-Laurier a senti très tôt l’appel de la construction. «J’ai toujours aimé la mécanique, les moteurs. Mon père est contremaître et il m’amenait sur les chantiers avec lui. J’ai toujours aimé ça.»

Quand on lui demande pourquoi son métier est si peu couru par les femmes, elle répond qu’il manque de publicité pour son emploi. «C’est mal connu. Avec les nouvelles technologies, on n’a plus besoin de force physique pour faire ce travail maintenant, seulement de nos mains. Je pèse à peine 110 livres et je n’ai pas de problème du tout!»

Elle avoue toutefois que c’est difficile de trouver un emploi comme femme et que les employeurs ne sont pas toujours chauds à l’idée d’accepter une femme dans leur bande. «On rentre dans leur monde. Les gars en construction ont encore une vieille mentalité.»

Mais Sophie Maheux note quand même qu’avec ses collègues tout baigne. «Quand par exemple les cinq gallons d’huile sont trop lourds pour moi, ils veulent tous m’aider. Je ne me sens pas du tout jugée et je n’ai jamais eu de problèmes avec eux.»

Comme quoi même les vieilles mentalités finissent par changer!

PORTRAIT 2
De père en fille

La pose de revêtements souples (installation de moquettes et de revêtements pour planchers) est parmi les métiers les plus populaires chez les femmes du secteur de la construction. Stéphanie Leduc est passionnée par ce travail.

«J’ai travaillé chez Home Depot pendant 5 ans et mon père travaille là-dedans aussi. J’ai toujours su que c’était ma place, mais à l’école ça m’a convaincue que j’avais fait le bon choix. J’adore ça!»

Si son emploi est un des plus populaires auprès des femmes, elle croit que c’est d’abord parce qu’il ne requiert pas une grande force physique. «Il faut être en forme, mais un entraînement de 15 minutes par jour suffit. Avec les techniques qu’on nous enseigne à l’école, je pense que je pourrais soulever un frigo toute seule sans problème!»

Elle ajoute que c’est un métier créatif, et que ce côté-là plaît aussi aux femmes. La jeune femme est persuadée qu’une plus grande promotion des bons côtés de l’industrie attirerait plus de femmes.

Selon elle, au secondaire, les filles devraient visiter une école de formation en construction. «De voir des femmes qui ont choisi ce métier-là, de voir qu’elles peuvent le faire, ça ferait une grande différence et on devrait mettre l’emphase là-dessus.»

Et les collègues masculins? «J’ai l’impression que ce sont mes grands frères. Je suis vraiment soutenue par eux. Je suis l’égal d’un homme en fait!»