Face aux turbulences économiques qui secouent les États-Unis, de plus en plus d’entreprises québécoises s’interrogent sur la résilience de leurs chaînes d’approvisionnement. Si miser sur des fournisseurs locaux peut renforcer la sécurité et stimuler l’économie d’ici, ce choix s’accompagne aussi de défis et de compromis.
Environ 75 % des fournisseurs de la marque de produits ménagers et corporels The Unscented Company se situent dans un rayon de 500 km de son siège social montréalais. La fondatrice, Anie Rouleau, a pris cette décision dès le jour 1. « J’ai été élevée par un père entrepreneur qui m’a martelé tous les jours que le contenu québécois était important. J’ai parti ma business avec cette attitude », raconte-t-elle.
Ce qui était d’abord un choix basé sur des convictions s’est transformé en stratégie quand la pandémie a frappé.
« Grâce à mon réseau local, je n’ai pas perdu une seule commande ou un seul produit. J’étais capable de fournir parce que je n’avais rien sur des bateaux pris en Chine. Ça a été une période de croissance pour l’entreprise. »
L’entreprise poursuit sur sa lancée, propulsée par l’engouement pour l’achat local. Celle-ci connait actuellement une croissance de 45 %.
Dans un tout autre domaine, celui des modules de jeux pour enfants, Jambette suit la même formule. Près de trois fournisseurs sur quatre de l’entreprise de Lévis se trouvent au pays. « On voit la proximité comme un avantage, estime la présidente, Marie-Noël Grenier. Ce ne sont pas seulement des fournisseurs, ce sont des partenaires. »
L’opportunité de les visiter rapidement en cas de problème de qualité ou de capacité ne nuit pas non plus, ajoute-t-elle.

Plus de contrôle
Opter pour un approvisionnement local comporte de nombreux points positifs, selon Claudia Rebolledo, professeure titulaire au département de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal. « Il y a plus de contrôle, dit-elle. On peut mieux savoir de qui on achète et ça permet de gérer les risques. »
Marie-Ève Jean, vice-présidente, exportations chez Investissement Québec, est du même avis. « Il y a tout le contexte ESG, souligne-t-elle. Quand une entreprise peut acheter de fournisseurs rapprochés, ça réduit son empreinte carbone et ça lui apporte un avantage compétitif. »
Choisir des partenaires d’ici permet de bâtir une économie plus forte, poursuit Marie-Ève Jean.
« En s’approvisionnant avec des fournisseurs du Québec, ça encourage les entreprises à devenir plus compétitives et performantes. Tout l’écosystème se rehausse ensemble. »
Plusieurs obstacles
Faire affaire au Québec demande toutefois aux chefs d’entreprise de faire des compromis. Anie Rouleau a par exemple, dû se rabattre sur des contenants qui manquent de personnalité. « Mes bouteilles sont plates, admet-elle en riant. Je suis toujours restée dans le générique parce que c’était ce qui était disponible ici. »
Certains éléments sont en outre introuvables au Québec. C’est le cas des pompes pour la lotion, des vaporisateurs et des capuchons. « Ces trois composants viennent d’Asie, précise la PDG. J’ai un autre produit qui vient de l’Europe et qui est donc tarifé pour rentrer aux États-Unis. »
Le savon en barre, produit au Vermont, sera quant à lui rapatrié à Toronto. Sa provenance ne faisait pas l’unanimité auprès des clients depuis quelques mois. « J’ai reçu plein de messages de bêtises », avoue Anie Rouleau.
L’entrepreneure parle néanmoins de sa fierté de développer son modèle d’affaires avec des gens du Québec. « Si tu veux changer les choses, tu n’es pas tout seul. On a tout un écosystème qui améliore la chaîne d’approvisionnement ici. On devient plus forts. »
Pas pour demain
Reste que s’approvisionner uniquement dans la province demeure impossible à court terme. « Par rapport au monde, on est tout petits et on ne produit pas tout », résume Claudia Rebolledo.
Investissement Québec travaille fort pour former des maillages entre entreprises et fournisseurs d’ici. Marie-Ève Jean concède que transformer sa chaîne d’approvisionnement vers des fournisseurs québécois prend du temps, de l’effort, de l’énergie. Elle conseille aux chefs d’entreprise d’identifier les éléments critiques qui viennent de l’extérieur du Québec et de chercher des partenaires locaux pour les produire.
Serait-il envisageable pour une entreprise de viser l’approvisionnement 100 % québécois à moyen ou long terme? « Absolument, répond Anie Rouleau, mais pas demain matin. Il faudrait vraiment investir en équipements. » Pour l’instant, l’incertitude économique, la menace de tarifs et la croissance occupent tout son temps.
Marie-Noël Grenier, elle, se fait plus hésitante. « On est une entreprise qui exporte, explique-t-elle, alors il ne faut pas paraître trop protectionniste. »
Article paru dans La Presse.
