Densification douce, préfabrication, transformation du bâti existant : les architectes rivalisent d’imagination face à la crise du logement. Entre règlements trop stricts et manque de collaboration, leur parcours s’avère toutefois semé d’embûches.
Pour Carlo Carbone, architecte et professeur à l’École de design de l’UQAM, la priorité est de revoir la manière dont on conçoit et réalise les projets. « Le système est un peu brisé », croit-il.
Au Québec, la construction de logements souffre selon lui d’une trop grande fragmentation entre les intervenants — architectes, entrepreneurs généraux, clients, donneurs d’ouvrage. « Un bâtiment, c’est un prototype. On le fait pour la première et la dernière fois. Il faut que tous les acteurs soient là dès le départ pour s’assurer qu’il soit bien conçu », estime-t-il.
Carlo Carbone mise sur l’industrialisation de la construction, notamment la préfabrication, pour réduire les délais et le gaspillage tout en augmentant la qualité. « Construire en usine, dans des conditions contrôlées, offre une meilleure productivité et moins de pollution. »
Ces méthodes, associées aux nouvelles technologies de conception numérique, comme le BIM, permettent aussi de travailler à plusieurs sur un même modèle et de favoriser la collaboration.
Les défis de la densification douce
Sur le terrain, l’architecte Julie Charbonneau se heurte aux blocages municipaux. Le studio Perch, qu’elle a cofondé avec Suresh Perera, planche sur plusieurs projets de densification douce, qui visent à ajouter des logements dans des milieux de vie sans les transformer drastiquement.
Celle-ci souligne que les bâtiments aux toits plats de deux ou trois étages du Plateau Mont-Royal pourraient accueillir d’autres étages ou des maisonnettes. « C’est l’endroit idéal pour permettre l’ajout d’une chambre ou d’un logement accessoire pour un parent âgé », illustre-t-elle. Plusieurs arrondissements ont toutefois imposé un moratoire sur ces interventions, ce qui freine leur réalisation.
Julie Charbonneau travaille aussi sur un projet dans le Sud-Ouest, un immeuble de dix unités sur trois étages, alors que le terrain en permet seulement huit. La ville a accepté l’idée, mais le processus d’approbation s’étire depuis des mois. « Les projets sont ralentis par des allers-retours interminables, parfois pour des détails, comme la forme des fenêtres ou la couleur d’un abri », déplore-t-elle.
Comme Carlo Carbone, Julie Charbonneau s’intéresse aux bâtiments modulaires préfabriqués. Elle en a réalisé à Chibougamau, où la pénurie de logements est criante. « La construction modulaire permet de réduire de moitié, parfois des deux tiers, la durée du chantier », souligne-t-elle. Il y a aussi un avantage de coût : plus c’est standardisé, plus ça devient économique. « Mais du point de vue architectural, c’est un défi de faire quelque chose qui s’intègre bien dans son contexte. »
Construire pour durer
Stéphan Langevin souligne de son côté la nécessité d’assurer la pérennité des logements. « C’est beau de faire des choses abordables, mais si tu dois les refaire dans trois ans, ce n’est plus abordable du tout », illustre l’architecte associé et directeur de la conception chez STGM. Selon lui, la qualité de vie et la durabilité doivent primer, même dans un contexte de budgets restreints.
Il évoque plusieurs projets récents auxquels son équipe a contribué. À Baie-Comeau, un complexe de 56 logements abordables a vu le jour, une réalisation d’envergure pour une région où la demande est forte. À Petite-Rivière-Saint-François, c’est un mini quartier de logements sociaux répartis dans cinq ou six bâtiments qui a été conçu, avec une attention particulière à l’intégration dans le cœur villageois.
STGM travaille également sur un projet au-dessus de la future station de métro Lacordaire, qui doit inclure une portion de logements sociaux.
Alors que la crise appelle à construire dans l’urgence, Stéphan Langevin insiste sur l’importance de la rénovation et de la reconversion des bâtiments existants, souvent plus écologiques qu’une construction neuve. Il remarque que les normes actuelles compliquent souvent ce type de projet, en particulier pour le patrimoine bâti. Alléger certaines règles pourrait éviter de condamner des édifices qui auraient le potentiel de devenir d’excellents logements.
« Il y a des aspects réglementaires qui pourraient être plus favorables à la construction de logements sociaux, ajoute-t-il, que ce soit en changeant le zonage ou en permettant une densification plus forte et la construction de bâtiments plus hauts. »
Surtout, il faudrait à son avis une vision d’ensemble et des efforts concertés pour régler la crise. « Un chantier de réflexion sur le logement abordable, dit-il, ce serait une bonne idée. » Après le Lab-école, à quand le Lab-logement ?
Article publié dans Les Affaires.
