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Le bonheur est à distance

En pleine pandémie, le plaisir de travailler en équipe en prend pour son rhume. À part les 5 à 7 en vidéoconférence, comment retrouver le goût de côtoyer ses collègues ? 

Le monde du travail a été profondément bouleversé par la COVID-19, qui a forcé bon nombre de salariés québécois à travailler de la maison. Près de deux ans plus tard, le côté social du boulot manque à bien des gens. Heureusement, les responsables du bonheur veillent au grain.

Chargés du bien-être des employés, les chief happiness officers — que l’on traduit par « responsables du bonheur » — ont fait leur apparition dans les années 2000 dans la Silicon Valley. Depuis quelques années, un nombre croissant d’entreprises québécoises en comptent un dans leurs rangs. Si leurs tâches varient d’un employeur à l’autre, ils se rallient tous derrière la même mission : s’assurer de la satisfaction des employés.

Ces professionnels ont dû redéfinir leur rôle depuis le premier confinement, au printemps 2020. Pas facile, en effet, de voir à l’épanouissement des salariés lorsque ces derniers s’affairent chacun de leur côté.

En cette ère de télétravail, les responsables du bonheur rivalisent d’imagination pour que les troupes gardent le moral. Certains envoient de petites surprises par la poste aux employés, d’autres organisent des activités pour échanger, réservent un espace de cotravail ou prévoient simplement du temps à l’horaire pour que tout le monde puisse jaser. Marie-Claude Arguin, responsable du bonheur et présidente de happieRH, suggère pour sa part de mettre l’accent sur les tâches qui augmentent le bien-être ressenti, soit en donnant des résultats ou en favorisant la collaboration. « Les employés sont ainsi stimulés, se sentent accomplis et voient que leur travail a encore un sens », dit-elle.

Elle ajoute que certaines entreprises sondent régulièrement leur personnel pour prendre le pouls de la situation. « Grâce à cette rétroaction, les gestionnaires peuvent s’ajuster pour s’assurer que l’environnement de travail répond aux besoins des employés. Ils peuvent par exemple promouvoir le droit à la déconnexion ou proposer un horaire flexible aux travailleurs qui ont des enfants à la maison. » Des activités virtuelles, comme un jeu-questionnaire entre collègues, un webinaire ou une salle informelle sur Zoom, permettent aussi de conserver la collégialité et la culture de l’entreprise.

« Au-delà de ça, les organisations doivent s’interroger sur ce que représente pour elles l’esprit d’équipe. Ça peut être de féliciter les bons coups ou de miser sur des activités de consolidation, comme lancer un défi sportif à ses collègues, qu’ils doivent réaliser en une semaine. »

Les 260 employés de Createch, spécialisée dans l’optimisation de processus et la mise en œuvre de solutions technologiques dans les entreprises, ont comme bien d’autres adopté le télétravail à 100 %. Ils ont néanmoins la chance de travailler en mode projet, en petits groupes. « Ça favorise l’esprit d’équipe malgré la distance », estime la responsable du bonheur en résidence, Barbara Poletti.

Mathilde Quentin, consultante en ressources humaines à Patrimoine RH et responsable du bonheur, croit surtout en l’importance des rituels. « Il faut prendre le temps d’échanger. Par exemple, tous les lundis matin, un employé choisit un brise-glace. Que l’on parle de notre application préférée ou de notre humeur du moment, ça permet de tisser des liens. »

L’intégration à distance

Le défi du bonheur à distance est encore plus grand chez les travailleurs qui commencent un nouvel emploi et qui ne connaissent pas leurs collègues. Les responsables du bonheur en sont conscients. « Le sentiment d’appartenance est moins fort, c’est sûr », admet Barbara Poletti. 

Pour accueillir les nouveaux venus, Createch envoie tout l’équipement nécessaire et une trousse de bienvenue à leur domicile. Quand les mesures sanitaires le permettent, ceux-ci rencontrent leur équipe immédiate lors d’un lunch. Sinon, le petit groupe discute le temps d’un café virtuel. 

L’intégration peut aussi passer par une vidéo personnalisée (points supplémentaires si le gestionnaire la livre lui-même) ou par une visite virtuelle des lieux. Pour rompre la glace et comprendre le rôle de chacun, Mathilde Quentin propose pour sa part de jumeler à l’occasion le nouvel employé avec un collègue pendant une heure ou deux.

Contrer l’isolement

Même si près de 80 % des Québécois désirent continuer le télétravail après la pandémie, selon Léger, ce mode de fonctionnement ne convient pas à tous. Afin de contrer le repli sur soi, Marie-Claude Arguin recommande d’abord d’informer les travailleurs et d’outiller les gestionnaires en matière de santé mentale. « Il faut être capable de reconnaître les gens en difficulté », souligne-t-elle.

La responsable du bonheur suggère notamment aux employeurs de procéder à un suivi individuel et régulier des salariés et de surveiller les signes avant-coureurs de la détresse psychologique, comme des absences fréquentes ou une baisse d’entrain. Elle propose également d’associer les employés de façon informelle pour qu’ils puissent se confier, en plus de consacrer les dernières minutes des visioconférences aux conversations à bâtons rompus.

Et le retour au bureau ?

La pandémie ne durera pas éternellement. Un jour, on reviendra à la normale. Reste à voir ce que cela signifiera pour les organisations. « Les gens n’ont pas nécessairement envie de rentrer au bureau, remarque Barbara Poletti. Par contre, dès qu’on prépare un événement social, la participation et l’enthousiasme sont au rendez-vous. »

Devant ce constat, les responsables du bonheur s’entendent pour dire que les entreprises devront être flexibles. « Elles devront consulter les employés pour savoir quelle est la formule idéale entre télétravail, mode hybride ou en présentiel », croit Marie-Claude Arguin. 

Comme le démontrent les bureaux quasi déserts de l’automne, la solution reste encore à trouver. Chose certaine, que ce soit à la maison ou dans les locaux de l’entreprise, le bonheur devra être de la partie.

Texte écrit pour L’actualité