Une infime partie de l’argent philanthropique mondial est consacrée à la crise climatique, un paradoxe à l’heure où la planète se réchauffe. Au Québec, certaines fondations tentent de renverser la tendance et de redonner un souffle à la philanthropie pour le climat.
« Malheureusement, le climat n’est pas une grande cause soutenue par les fondations », déplore le sociologue Jean-Marc Fontan, codirecteur sortant du PhiLab. Selon lui, moins de 5 % des fonds philanthropiques du monde servent la cause environnementale, « une peau de chagrin » compte tenu de l’urgence.
Pire, selon les données du Fonds pour une économie propre, seulement 1,5 % de l’ensemble de la philanthropie au Canada est consacré aux changements climatiques. « C’est étonnant, parce que c’est notre avenir », souligne celui qui est également professeur associé au Département de sociologie à l’UQAM. La philanthropie, rappelle-t-il, s’est historiquement tournée vers la santé, la pauvreté, la culture. Les questions environnementales, plus systémiques et moins mesurables, peinent à séduire les donateurs. « Les résultats ne se voient pas à court terme. Et ce n’est pas une cause qui fait consensus : agir pour le climat, c’est s’attaquer à la structure même de nos économies. »
Jean-Marc Fontan note que le modèle évolue, lentement. « Il y a quand même quelques initiatives, comme L’engagement de la philanthropie canadienne sur le dérèglement climatique, une organisation qui regroupe et mobilise les bailleurs de fonds qui interviennent en environnement. »
Vers une philanthropie stratégique
La Fondation familiale Trottier fait partie des fondations qui ont retroussé leurs manches pour affronter les aléas climatiques. « On cherche à pratiquer une philanthropie qui ne se limite pas à distribuer de l’argent, mais une philanthropie qui se veut stratégique, qui s’attaque aux causes systémiques des problèmes », souligne son PDG, Karel Mayrand.
Il illustre ses propos en disant que sa fondation ne veut pas seulement « patcher les trous » du bateau qui coule ; elle veut le rénover au complet. « On veut travailler avec le milieu pour définir des solutions qui vont changer les choses pour longtemps. »
L’organisme a ainsi choisi de débourser 150 millions de dollars d’ici 2030, exclusivement pour le climat. « C’est ce qu’on appelle un spend-down partiel, dit-il. On liquide une partie de notre dotation pour répondre à l’urgence, tout en préservant le long terme. »
L’objectif : accélérer le financement de la transition, quitte à revoir le modèle traditionnel. « Le dollar investi aujourd’hui dans la lutte climatique vaut infiniment plus qu’un dollar investi en 2080 », insiste-t-il.
Cette réorientation se heurte toutefois à un contexte politique difficile. « Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, beaucoup de gouvernements se sont désengagés du financement environnemental », observe Karel Mayrand. Le Québec n’y échappe pas. La disparition de certaines mesures du Fonds vert a fragilisé des dizaines d’organismes de sensibilisation. « Tout un écosystème a vu son financement disparaître. »
À cela s’ajoute la désinformation. « Il y a dix ans, on avait du mal à s’entendre sur la vérité. Maintenant, on n’arrive même plus à s’entendre sur les faits. » Pour le dirigeant de la Fondation familiale Trottier, défendre la science et la démocratie va désormais de pair avec la mission climatique. « On doit rester ancrés dans nos valeurs, même si le contexte politique se dégrade. »
Changer la donne
Pendant que les grandes fondations réinventent leurs modèles, la nouvelle génération tente d’élargir le cercle. Aux Jeunes philanthropes du Québec (JPQ), le président du CA, William Plamondon, mise sur l’éducation pour bâtir une culture du don. « Au Québec, 70 % des dons viennent de personnes de plus de 60 ans. Si on veut un futur pour la philanthropie, il faut commencer dans les écoles. »
Celui-ci observe que les jeunes donateurs sont particulièrement sensibles aux questions climatiques. « Beaucoup veulent que leur argent ou leur énergie servent à quelque chose de concret. Ils cherchent à soutenir des projets liés à la transition écologique, à la justice sociale, à l’équité. »
William Plamondon plaide donc pour une philanthropie « connectée au monde d’aujourd’hui », capable de dialoguer avec tous les acteurs. « Le climat, c’est une cause collective. Si on reste chacun dans notre silo, on n’y arrivera pas », estime-t-il.
Son expérience au sommet TED Countdown de Nairobi, en juin dernier, a été marquante. « Il y avait des scientifiques, des entrepreneurs, des donateurs du monde entier. Tout le monde travaillait ensemble sur des solutions. » Cette démarche a inspiré les JPQ à organiser un grand événement international à Montréal en 2026, pour rassembler « les leaders de tous les secteurs autour des défis climatiques ».
Article publié dans Les Affaires.
