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Pour en finir avec l’étalement urbain

L’étalement urbain augmente la congestion routière, les émissions de gaz à effet de serre (GES) ainsi que les dépenses des municipalités en infrastructures. Un cocktail au goût amer pour le climat, alors que des solutions existent pour le freiner.

« L’étalement urbain, c’est lorsqu’on consomme plus de terrain qu’on compte d’humains », illustre François Racine, professeur au Département d’études urbaines et touristiquesde l’ESG-UQAM. Autrement dit, « il s’agit d’un déséquilibre entre la démographie et notre occupation du territoire ».

Ce déséquilibre, présent depuis plus d’un demi-siècle au Québec, est lourd de conséquences. Un habitant des couronnes éloignées émet par exemple 2,5 fois plus de GES qu’un résident du Plateau-Mont-Royal, selon les données de l’organisme Vivre en Ville. Pour les municipalités, l’étalement urbain coûte aussi environ deux fois plus cher par unité d’habitation.

Ce mode de développement entraîne également la destruction de milieux naturels, empiète sur les terres agricoles, accentue notre dépendance à l’automobile et force citoyens et marchandises à parcourir des distances de plus en plus grandes. Ce sont en outre des milliers de kilomètres d’infrastructures (aqueduc, trottoirs…) qui doivent être construits pour desservir toute la population.

« Ça crée aussi de la congestion sur les routes et dans le transport collectif. Quiconque a pris la ligne orange du métro le matin sait que, si on n’embarque pas à Montmorency, on est coincé sous l’aisselle du voisin. Même chose dans le train de banlieue », illustre Mikael St-Pierre, coordonnateur de l’aménagement et de l’environnement urbain au Centre d’écologie urbaine de Montréal. Les grandes régions citadines québécoises — Montréal, Québec, Gatineau ou Sherbrooke — consomment ainsi plus de territoire que leurs homologues canadiens. « C’est au Québec que l’on s’étale le plus », résume l’urbaniste.

Un rêve bien ancré

Malgré ses effets néfastes, le rêve de la maison unifamiliale en banlieue persiste dans l’imaginaire des Québécois. Quant aux villes, elles cherchent constamment à se développer puisque 70 % du financement des municipalités dépend des taxes foncières. « Cela encourage la compétition entre les villes », déplore François Racine, qui souligne que « le coût d’une maison à Terrebonne n’est pas représentatif de son coût collectif ». Pour sortir de l’impasse, la densification est l’avenue prioritaire. Mais elle ne rime pas nécessairement avec tours de logements. Nos interlocuteurs prônent plutôt une densification douce, à échelle humaine.

Grandes friches urbaines, stationnements vides, usines vacantes depuis des lustres, « il n’y a pas une ville moyenne au Québec qui ne compte pas de terrain sous-utilisé », avance également Christian Savard. Ces espaces constituent autant de possibilités pour les villes de croître sans s’étaler. Le directeur de Vivre en Ville cite en exemple Drummondville et son projet Fortissimo, où des centaines de logements s’installeront sur un terrain vague.

Dans la même veine, Mikael St-Pierre évoque l’Hippodrome de Montréal, qui pourrait devenir un quartier carboneutre, la fourrière d’Ahuntsic, qui devrait revivre sous une autre forme, ou encore Saint-Bruno-de-Montarville, qui veut revitaliser son ancienne usine Natrel. Plusieurs villes québécoises adoptent par ailleurs le TOD (pour Transit-Oriented Development), les 82 municipalités de la Communauté métropolitaine de Montréal en tête. L’objectif ? Développer des milieux de vie complets autour d’une infrastructure de transport collectif. Enfin, de petites municipalités, comme Saint-Elzéar en Beauce, redynamisent leur cœur villageois et repensent les usages de leurs terrains.

Pour sortir de l’impasse, la densification est l’avenue prioritaire. Photo: Jamshed Khedri, Unsplash.

Vision d’ensemble

Pour éviter que les municipalités grugent les écosystèmes sur leurs territoires, Christian Savard croit qu’il faut se doter de meilleurs outils pour les aider à se développer différemment. « Pour réussir, ça prend une vision claire et des règles du jeu équitables. »C’est pour cette raison que les experts pressent le gouvernement d’adopter une politique nationale d’aménagement du territoire et de l’urbanisme, à l’heure où il est en train de réviser ses stratégies en la matière.

« On y admet noir sur blanc que le modèle fiscal actuel force les municipalités à prendre des décisions à court terme, souvent au détriment des milieux naturels, souligne Mikael St-Pierre. On reconnaît aussi l’importance du développement durable. C’est un pas dans la bonne direction, mais il faut rester vigilant. Entre les grandes orientations et leur application, il y a tout un monde. »

Bâtir l’écoquartier québécois

En Europe, en Allemagne ou en France notamment, le concept d’écoquartier n’est pas nouveau. Ces milieux de vie répondent à tous les besoins du quotidien : services à proximité, modes de transport viables et espaces publics de qualité. Ils ont pourtant fait peu d’émules de ce côté-ci de l’Atlantique.

Afin d’encourager les municipalités québécoises à se lancer, Vivre en Ville suggère de mettre en place des incitatifs. « On pousse pour qu’il y ait une enveloppe de 100 millions de dollars par année à l’échelle de la province pour développer des écoquartiers. Celui du Technopôle Angus, dans Rosemont, qui sera super vert, a obtenu un soutien financier de 20,5 millions de dollars, et il deviendra un modèle à suivre. On pourrait faire pareil ailleurs au Québec », croit Christian Savard.

« Évidemment, il y a encore de mauvaises pratiques, des développements récents qui tombent du ciel dans un champ de patates. Je pense notamment à Mirabel ou à la MRC de Montcalm, qui ont fait les manchettes en 2020 pour avoir empiété sur une zone agricole », signale Mikael St-Pierre.

Un milieu de vie complet dans Ahuntsic

Transformer l’ancienne fourrière municipale d’Ahuntsic en véritable écoquartier comprenant des logements abordables, des espaces verts, des services de proximité et du transport actif : c’est l’objectif ambitieux de la requalification du site Louvain Est. Ville, arrondissement et table de concertation locale travaillent ainsi main dans la main depuis 2019 pour réaliser « un quartier exemplaire et solidaire ».

Selon les plans, la zone de 7,7 hectares — l’équivalent de huit terrains de football —, en friche depuis plusieurs années, abritera de 800 à 1000 logements abordables. Pour répondre aux besoins de différents ménages, plusieurs types de bâtiments et d’unités seront aménagés, et les immeubles de bas niveau côtoieront trois tours de 10 étages avec ascenseur.

Actuellement couvert à 90 % d’asphalte et de béton, cet immense îlot de chaleur verra plus de la moitié de sa superficie verdie. Le boisé existant sera préservé. Les parcs, placettes et autres espaces publics animeront le quartier toute l’année. Une partie sera également consacrée à l’agriculture urbaine.

Les futurs résidents pourront bénéficier de nombreux services. On construira par exemple une école primaire de 300 élèves, un CPE, une bibliothèque et un centre communautaire. Des commerces de proximité s’installeront aussi au rez-de-chaussée de certains bâtiments.

Article publié dans Le Devoir