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Tricoter pour les familles en deuil

Loose Ends Project rapièce les cœurs brisés en terminant les projets de tricot laissés en plan par des proches qui se sont éteints. L’initiative américaine peut désormais compter sur un réseau de 19 000 bénévoles un peu partout dans le monde, y compris au Québec.

Jean-Louis Pitre a tricoté sa première paire de mitaines avec sa grand-mère alors qu’il n’avait que 9 ans. Ses aiguilles ne sont depuis jamais bien loin. « En grandissant, j’ai tricoté toutes sortes de choses : des foulards, des bas, des chandails, des couvertures. Je me considère comme assez expert », lance-t-il.

L’infirmier à la retraite a choisi de mettre ses compétences au service de Loose Ends Project, un organisme créé par les Américaines Masey Kaplan et Jennifer Simonic en août 2022. Les deux complices jouent les entremetteuses en associant un projet d’artisanat laissé par un proche disparu à un bénévole local prêt à y mettre la touche finale. Plus de 2500 personnes ont ainsi un souvenir à chérir.

Ce sont ces dernières qui l’ont mis en contact avec Laura Moir, qui vit comme lui à Gatineau. « Nous nous sommes rencontrés dans un Tim Hortons, raconte-t-il. Elle est venue avec une boîte pleine de laine, de bouts de tricot inachevés et de patrons. »

« Mon ex-belle-mère était une avide tricoteuse, explique Laura Moir. Elle était en train de faire un chandail pour sa petite-fille – ma fille –, mais elle est morte avant de l’achever. »

Laura Moir l’avoue, elle n’a pas la fibre artisanale. « Je n’arrivais pas à savoir si un morceau était une portion de manche ou un collet, confie-t-elle. J’ai tout remis à Jean-Louis en lui disant de prendre son temps. » Une fois le chandail terminé, il sera encadré et affiché fièrement au mur.

Tisser des liens

Jean-Louis Pitre ne prend pas son mandat à la légère. Pour lui, terminer le tricot d’un défunt demande beaucoup de sensibilité et de respect.

Photo : Jean-Louis Pitre

« C’est un peu comme recevoir un don d’organes. Il y a un deuil qui l’accompagne, ça signifie que quelqu’un a perdu une personne aimée. C’est un honneur de terminer son travail. Ça me touche beaucoup. »

Avec la laine fournie, Jean-Louis Pitre a réalisé un échantillon pour vérifier la tension du tricot et tenter de la reproduire le plus fidèlement possible. « J’ai dû fouiller dans les patrons pour comprendre quels morceaux j’avais. Finalement, c’est un veston à un bouton. J’espère le finir avant l’été. »

Déjà, Laura Moir se réjouit d’avoir demandé l’aide de l’organisation. « Ma fille était très près de sa grand-mère. Ça transforme un moment difficile en expérience positive. »

Volontaires en quête de projets

Selon la cofondatrice de Loose Ends Project, Jennifer Simonic, l’initiative demeure méconnue au Québec. On y trouve seulement 77 finisseurs (le nom que l’organisme donne aux volontaires), dont 29 à Montréal et 5 à Québec.

Il y a d’ailleurs pour l’instant dans la province plus de bénévoles que de tricots à terminer. Plusieurs enthousiastes attendent donc patiemment l’appel de Loose Ends qui les jumellera avec un détenteur de projet.

Comme Jean-Louis Pitre, Mélanie Paré a appris les bases du tricot avec sa grand-mère quand elle était enfant. « J’en fais régulièrement, c’est devenu une passion », dit celle qui tricote d’ailleurs tout au long de l’entrevue.

Elle s’est portée volontaire pour Loose Ends Project l’automne dernier.

« Il y a beaucoup de tendresse dans cette initiative. Je veux aider les gens à surmonter cette épreuve, à avoir un dernier câlin de leur grand-mère ou de leur parent. » – Mélanie Paré

Leïla Thompson de la Chenelière a aussi été conquise par l’idée. « Je suis préoccupée par l’inconfort entourant la mort dans notre société. Un héritage tangible peut vraiment contribuer au processus de deuil, selon moi », explique celle qui travaille pour Albatros, un organisme qui accompagne les personnes en soins palliatifs et en fin de vie ainsi que leurs proches et les endeuillés.

Cette envie d’aider la communauté a également motivé Xiaomin Caron à se joindre à Loose Ends Project. « La pandémie m’a fait découvrir le crochet, puis le tricot, raconte la conseillère marketing et médias numériques chez Familiprix. J’aime redonner aux autres, alors c’était naturel pour moi de m’inscrire. »

Joanie Leclerc, qui maîtrise tant le tricot que le crochet, la couture et le petit point, comprend ce que c’est que d’avoir plusieurs projets en cours. « S’il fallait que je meure, je pense que mon chum ne saurait vraiment pas quoi faire avec tout ça, mentionne-t-elle en riant. Un morceau fait à la main par un proche, c’est pourtant un legs merveilleux. »

Article paru dans La Presse.