Flambée du prix des terres, coût des intrants qui augmente et accès au financement difficile : la relève agricole du Québec fait face à des défis de taille, auxquels s’ajoute l’instabilité provoquée par la guerre commerciale avec les États-Unis.
Alors que Donald Trump souffle le chaud et le froid avec le Canada sur les droits de douane, certains agriculteurs québécois s’inquiètent. Il faut dire que 60 % des exportations agroalimentaires canadiennes (soit près de 60 G$) étaient destinées aux États-Unis en 2023.
Certains secteurs pourraient écoper plus durement. « On exporte 62 % de notre sirop d’érable au marché américain. On ne peut pas se diversifier du jour au lendemain », illustre le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Martin Caron. Plus de la moitié des exportations des producteurs de porc sont également envoyées au sud de la frontière.
« Il y a aussi un risque que le prix des intrants augmente de part et d’autre. » Les engrais, par exemple, proviennent de nos voisins du sud, tout comme l’emballage des producteurs maraîchers.
Baisse de la relève
Ce climat d’incertitude pourrait nuire aux nouvelles entreprises, selon Martin Caron.
« Le coût de démarrage est plus élevé. Avec les taux d’intérêt qui ont monté, on a vu une diminution du nombre de jeunes en agriculture. »
Pas moins de 78 % des fermes québécoises n’ont pas de plan de relève. « C’est inquiétant, surtout que l’âge moyen des agriculteurs augmente », estime le président de l’UPA.
On observe en plus une baisse des inscriptions pour les programmes agroalimentaires dans certaines écoles, principalement en raison de l’explosion de la valeur des terres agricoles dans les dernières années.
Nombreux défis
L’accès aux terres représente d’ailleurs le principal obstacle pour les aspirants agriculteurs, selon le président de la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ). « C’est difficile de trouver une terre de la bonne dimension qui est à vendre, encore plus à un prix décent », dit David Beauvais.
Le financement constitue un autre défi important. « Avec tous les équipements, dépendamment des productions, ça prend entre 8 et 9 $ d’actifs pour 1 $ de revenus. Ces actifs sont l’équivalent du coffre à outils du plombier ou du logiciel du comptable ; on en a besoin pour fonctionner. Il faut aller chercher du financement et des garanties », poursuit-il.
David Beauvais aimerait que le gouvernement aide ce secteur essentiel. « Investir dans des terres agricoles, c’est à notre avis bon pour la collectivité, pour les régions, pour le paysage. C’est un bien commun. »
Pour améliorer les conditions des jeunes producteurs, la FRAQ demande notamment un incitatif fiscal pour vendre une terre à une relève. Elle souhaite également qu’on favorise la remise en culture des milliers d’hectares de terre en friche. « On trouve important de mettre en place un registre des transactions des terres, pour contrôler la spéculation », ajoute le président de la FRAQ.
Faire de l’agriculture autrement
Le visage de la relève agricole change. Le tiers des membres de la FRAQ sont aujourd’hui des femmes. « C’est beaucoup plus diversifié qu’avant, constate le président. Même si le transfert familial demeure le mode d’opération le plus populaire, on voit différents modèles apparaître, comme des néo-agriculteurs, des coopératives de jeunes, d’autres qui louent des terres pour se lancer en agriculture. »
Sarah Lussier s’inscrit dans cette mouvance. Celle qui n’a pas grandi les deux pieds dans la terre rêvait depuis toute petite d’avoir sa propre ferme. Son rêve se concrétise en 2020, quand la ferme VERTI voit le jour à Cap-Santé.
Après quelques recherches, elle et son conjoint ont décidé de miser sur la culture verticale hydroponique. « Les agriculteurs traditionnels vivent avec des enjeux colossaux. Un producteur de Rougemont a perdu tout son champ de cantaloups en 15 minutes à cause d’une grêle. La ferme verticale, elle, nous permet de travailler à l’année, dans de meilleures conditions. »
Comme acheter une terre était inconcevable pour le couple, celui-ci loue une ancienne étable abandonnée, qu’il a adaptée à ses besoins. Les plants de fines herbes, de micropousses et de légumes feuilles poussent dans l’eau, en circuit fermé, sur des étagères placées en hauteur. « On peut ainsi maximiser l’espace », explique Sarah Lussier.
Le coût élevé d’investissement au départ et le manque de données sur les fermes verticales hydroponiques ont causé du fil à retordre aux deux partenaires. « On doit procéder par essais et erreurs. »
La ferme VERTI livre ses produits à des épiceries de la région, de grandes chaînes et quelques restaurants. « On sent l’intérêt pour nos produits locaux, dit Sarah Lussier. Nos clients nous offrent une belle vitrine. » L’entreprise prévoit d’ailleurs une expansion de 50 % de sa production en 2025 ou 2026.
Article paru dans La Presse.
